Sous la grande vague
La mer se creuse puis se redresse pour former une nouvelle vague. A cet instant, elle réalise une spirale parfaite.
L’écume, aux extrémités acérées, rappelle la main crochue d’un monstre invisible prêt à capturer ses proies, ces hommes à peine discernables qui se cramponnent aux rames de leurs barges de pêcheurs.
En arrière-plan se dresse, stoïque, le mont Fuji enneigé, emblème sacré du Japon.
En quelques traits Hokusai parvient à faire cohabiter deux notions opposées.
Le mouvement irréversible et l’immobilité absolue, la violence de la grande vague à la stabilité de la montagne sacrée ; le bleu profond de l’eau se mêle au blanc de l’écume et s’oppose au jaune rosé de l’arrière-plan, sa couleur complémentaire ; les formes se confrontent, les pleins et les vides se répondent.
Dans la partie supérieure de la composition, le ciel, symbole du yin, impose sa force lumineuse, calme et céleste ; dans la partie inférieure, le yang, déploie son énergie brutale, obscure et terrestre. Les hommes se débattent entre les deux principes.
Cette vision philosophique de l’existence est typiquement nippone et nous rappelle la fragilité de la vie face à l’implacable force de la nature.
Le sens de lecture de l’œuvre a toute son importance.
L’écriture japonaise se lit de droite à gauche alors que l’écriture occidentale se lit de gauche à droite, ce qui implique que la perception première de l’image n’est pas la même pour un Occidental et pour un Japonais.
Pour un Occidental, les pêcheurs se dirigent vers la droite de l’estampe. Ils sont rattrapés par la vague, qu’ils fuient. Pour un Japonais, les pêcheurs viennent de la droite de l’image et se dirigent vers la gauche, ils suivent le cheminement oriental traditionnel, ils affrontent la vague et s’y opposent. C’est dans le sens de lecture japonais que l’image est la plus forte, rendant la menace de la vague plus apparente encore. Les marins s’arc-boutent sur leur rame pour survivre, le premier bateau est en partie sous l’eau, la vague principale risque de dévaster le second, mais tout le monde est à son poste, on résiste, on tient bon !
Et le ciel et la mer se rejoignent via un nuage blanc.
Connue sous le nom de La grande vague cette célèbre estampe appartient à la série des Trente-six vues du mont Fuji qu’Hokusai commence à l’âge de 70 ans.
Vivre uniquement le moment présent,
Se livrer tout entier à la contemplation de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier et de la feuille d’érable…
Ne pas se laisser abattre par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître sur son visage,
Mais dériver comme une calebasse sur la rivière, c’est ce qui s’appelle ukiyo.
Par Asai Ryōi
Pour aller plus loin :
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